Salarié protégé : imposer un simple changement des conditions de travail constitue un manquement grave de l’employeur qui justifie une prise d’acte
Publié le 17 Mai 2012
Cass. Soc., 4 juillet 2012, n° 11-13346
Les faits
L’employeur avait modifié les conditions d’exécution des tâches d’un salarié protégé.
Face à ce changement de ses conditions de travail (que le salarié estimait en outre contraire aux prescriptions du médecin du travail), le salarié protégé prenait acte de la rupture de son contrat de travail.
Postérieurement, l’employeur sollicitait l’Inspection du travail en vue de l’autoriser à licencier le salarié.
Peine perdu, la prise d’acte de la rupture par le salarié protégé a pour effet de rompre immédiatement le contrat de travail (Cass. soc. 25 janvier 2006, 2 arrêts : n° 04-41.204). Même si l’arrêt ne le précise pas, il y a tout lieu de penser que c’est pour cette raison que l’Inspection du travail a refusé d’accorder à l’employeur une autorisation de licenciement.
Il appartenait donc au juge de dire si un simple changement de conditions de travail pour un salarié protégé constituait, conformément à la jurisprudence précité, un « manquement suffisamment grave ».
La décision de la Cour de cassation
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi de l’employeur et confirmé la décision de la Cour d’appel en indiquant :
« Mais attendu que le salarié protégé, qui a pris acte de la rupture de son contrat de travail, peut justifier des manquements de son employeur aux règles applicables au contrat de travail et aux exigences propres à l’exécution des mandats dont il est investi, peu important les motifs retenus par l’autorité administrative à l’appui de la décision par laquelle elle a rejeté la demande d’autorisation de licenciement antérieurement à la prise d’acte »
Antécédents et Enseignements
Pour mémoire, dans la prise d’acte de rupture, le salarié quitte l’entreprise car il considère que le contrat est d’ores et déjà rompu du fait des “manquements graves” de l’employeur.
Cette prise d’acte se matérialise en général par un courrier circonstancié adressé par le salarié à son employeur faisant état des “manquements” commis par l’employeur et, par suite, de sa décision de ne pas reprendre son poste.
La rupture du contrat n’étant alors que factuelle, il appartient au Conseil de prud’hommes saisi postérieurement de qualifier celle-ci.
Il est de jurisprudence constante que lorsqu’un salarié protégé prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture produit, soit les effets d’un licenciement nul pour violation du statut protecteur lorsque les faits invoqués par le salarié la justifiaient, soit, dans le cas contraire, les effets d’une démission (Cass. soc. 5 juillet 2006 n° 04-46.009, RJS 10/06 n° 1090, Bull. civ. V n° 237 ; Cass. soc. 25 juin 2007 n° 06-40.667, RJS 11/07 n° 1168 ; Cass. soc. 27 janvier 2010 n° 08-44.897, RJS 4/10 n° 359 ; Cass. soc. 16 févr. 2011 n° 10-15529, RJS 05/11, n° 435).
La question essentielle est donc celle de savoir si les manquements reprochés par le salarié protégé sont suffisamment graves pour justifier la prise d’acte de rupture de son contrat de travail.
C’est justement l’intérêt de la décision du 4 juillet 2012 qui reprend mot pour mot l’attendu de principe d’une décision antérieure du 27 mai 2009 (Cass. Soc., 27 mai 2009, n° 08-42555).
La décision confirme deux points essentiels :
- Le simple changement des conditions de travail que l’employeur impose à un salarié protégé constitue à lui seul un manquement suffisamment grave justifiant sa prise d’acte.
- La prise d’acte peut être justifiée par « un manquement […] aux exigences propres à l’exécution des mandats dont [le salarié protégé] est investi ».
Sur le premier point, la jurisprudence est constante, la Cour de cassation ayant déjà eu l’occasion d’affirmer que ce principe (exemple : Cass. Soc., 30 nov. 2011, n° 10-15026 : « aucun changement de ses conditions de travail ne peut être imposé à un salarié protégé et qu’en cas de refus par celui-ci de ce changement, l’employeur doit poursuivre le contrat de travail aux conditions antérieures ou engager la procédure de licenciement en saisissant l’autorité administrative d’une demande d’autorisation de licenciement »).
Sur le deuxième point, si la solution a déjà été énoncée en 2009, on ne sait guère jusqu’à présent l’étendue de la notion d’ « exigences propres à l’exécution des mandats ».
Dans la décision du 27 mai 2009, la Cour de cassation avait estimé que justifiait la prise d’acte le comportement de l’employeur qui ne convoquait plus le salarié aux réunions du Comité d’entreprise.
Dès lors, pourrait-on aller jusqu’à estimer que toute entrave de l’employeur au fonctionnement des institutions représentatives du personnel constitue « un manquement […] aux exigences propres à l’exécution des mandats » ?
Jusqu’à présent, la Cour de cassation n’a pas borné sa jurisprudence. Nul doute que cette exercice sera difficile.
Devra-t-on distinguer entre les prérogatives individuelles attachées aux mandats représentatifs et les prérogatives collectives liées à l’institution ?
Pourtant, à y regarder de près, de nombreuses règles relatives aux institutions représentatives du personnel correspondent également à une ou plusieurs prérogatives individuelles attachées au mandat.
Le risque pour les employeurs est donc très important, surtout que les conséquences pécuniaires sont lourdes.
Cependant, une telle menace est de nature à fortement inciter les employeurs à respecter scrupuleusement les prérogatives des élus…
source: http://www.jceavocats.fr/?p=701